Samedi 1er mai 2010, autour de 9h13. Sur France Inter, la présentatrice du flash infos nous annonce que l'émission qui aurait dû suivre, Rue des Entrepreneurs, ne serait pas diffusée, en raison du licenciement des deux présentateurs, Didier Adès et Dominique Dambert, et ce à la suite d'une longue procédure disciplinaire, la direction de la chaîne ne souhaitant pas faire de déclarations supplémentaires sur la question.
Et là on se dit : "Ça nous avait bien manqué !"Par « ça », il faut entendre une bonne oukase, pondue par un petit chef, comme au temps de l’ORTF !
Il faudrait que les plus jeunes d’entre nous imaginent, une seconde, les conditions dans lesquelles les journalistes de l’audiovisuel « gouvernemental », qualifié de « voix de la France », ont dû traiter les guerres du Vietnam et d’Algérie, la disparition de Ben Barka (un syndicaliste marocain enlevé sur le sol français), les « incidents » d’octobre 1961 (suite à la répression de manifestations contre la guerre d’Algérie, des dizaines de cadavres d’Algériens sont repêchés dans la Seine), les morts du métro Charonne (8 février 1962, en pleine guerre d’Algérie, à l’appel du parti communiste, une manifestation est organisée pour dénoncer les agissements des extrémistes de l’OAS voire la guerre conduite en Algérie. À la suite de l’intervention policière, on dénombrera plusieurs morts dans la bouche de métro) l’interventionnisme des armées françaises dans les anciennes colonies, le programme nucléaire, etc., etc.
Il y eut aussi Mai 68, avec une énorme charrette de licenciements de journalistes et d’animateurs, qui a vu les plus fortes têtes, en tout cas celles qui avaient pris part, un peu trop activement, au mouvement social, renvoyées purement et simplement. Quelques années plus tôt (1964), la speakerine Noëlle Noblecourt était licenciée pour avoir osé montrer ses genoux à l’écran !
Ce qui précède n’est qu’un petit condensé des innombrables entraves à la liberté qui ont pesé, des décennies durant, sur l’audiovisuel public français, un audiovisuel mis sous coupe réglée par le pouvoir politique, lequel, conformément au principe du « diviser pour régner », n’a pas hésité, sous Giscard d’Estaing, à opérer un véritable dépeçage de l’ORTF, qui sera suivi par la privatisation de TF1 (quand, en Grande Bretagne, même Margaret Thatcher n'a pas osé toucher à la BBC !).
Rappelons, en passant, qu'à cette époque, l'audiovisuel français n’est pas seulement public, mais aussi monopolistique : il n’existe pas de chaînes de radio ou de télévisions privées.
1981, élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Libéralisation de l’audiovisuel avec la création de radios « libres », de Canal +, de la Cinq (Berlusconi)… Création de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (1982), premier organe « autonome » de régulation de l’audiovisuel…
Ces rappels sont importants, car il faut toujours remettre les choses en perspective si l’on veut comprendre ce qui se passe.
Ceux qui n’ont pas de mémoire, ou qui n’ont pas connu les temps anciens, pensent parfois que tout coule de source, voire que la France a toujours été un modèle de démocratie et de respect des droits de l’Homme et de la liberté de la presse.
Ceux-là s’offusquent que l’on ose prendre en otage des journalistes, comme ces deux Français en Afghanistan, ou qu’on se permette de les jeter en prison, où certains trouvent la mort, comme tout récemment au Cameroun, quand ils ne sont pas tout bonnement assassinés en pleine rue, ici ou là.
L’organisation Reporters sans Frontières vient régulièrement nous rappeler, à coups d’opérations médiatiques, les centaines de cas de journalistes victimes des régimes les plus répressifs.
Et c’est là qu’on apprend que deux journalistes de France Inter, notre France Inter, pas des journalistes ouzbèques, ni burkinabés, ni russes, ni congolais, camerounais, cubains…, non, Didier Adès et Dominique Dambert, se retrouvent à la rue, du jour au lendemain, sans qu’on sache trop pourquoi, la direction de la radio en question refusant ostensiblement de s’expliquer, alors qu’une simple caissière de Prisunic ou un modeste éboueur de la ville de Paris bénéficierait d’une procédure de licenciement sévèrement encadrée par le Code du Travail. Si faute il y a, justifiant un licenciement avec effet immédiat, on se dit que Adès et Dambert ont dû faire très fort, à moins qu'il n'y ait anguille sous roche !
Cela dit, le coup était presque à prévoir, lorsqu'on se souvient de l'amputation de l'émission, dès la rentrée dernière, du dernier quart d'heure, confié à une autre journaliste. La suite était cousue de fil blanc...
En l’absence d’explications émanant de la direction, nous en sommes donc réduits à spéculer, en nous rappelant les déclarations de ceux qui voyaient d’un mauvais œil la manière dont le pouvoir politique était intervenu dans la nomination du président de Radio-France et du directeur de France Inter.
Et d’aucuns de se dire que, décidément, on ne perd pas les « bonnes habitudes », qu’il n’y a pas de fumée sans feu, que ça devait arriver. Comme au « bon vieux temps de l’ORTF », nous voilà revenus à la « voix de la France ».
Et c’est là qu’on se demande :
- où sont passés les syndicats de journalistes de Radio-France ?
- où est passée l'organisation Reporters sans Frontières, tellement combattive chaque fois qu'il s'agit de défendre les libertés de la presse... en Russie, Chine, Cuba et ailleurs, bref, loin de "chez nous" ?
- où sont passés les défenseurs de la liberté de la presse, notamment parmi les responsables associatifs, syndicaux et politiques ?
Les petits chefs de France Inter et de Radio France, dont on nous a dit qu'ils avaient été choisis en "haut lieu", voudraient-ils restaurer le climat nauséabond qui a prévalu sous la RTF puis sous l’ORTF ?
Imaginons, une seconde, que des pays soient dirigés comme le sont certaines chaînes de l'audiovisuel, avec des petits chefs ayant tous les droits. Ces pays existent ; on les appelle des dictatures !
« Rue des Entrepreneurs » est (j'en parle au présent !) une des rares émissions – à l’instar d’Interception, le dimanche, et de Là-bas si j’y suis, l’indispensable rendez-vous avec Daniel Mermet (dont on se souviendra qu’il a été, lui aussi, victime d’une oukase de la part de l’avant-dernier « petit dictateur » sur France Inter, lequel lui a imposé un changement d’horaire, et ce, malgré les protestations de nombreux auditeurs.) que j’écoute régulièrement, et in extenso, sur France Inter, malgré le caractère parfois aride de certaines interventions de spécialistes de l’économie ou de la finance. Et c’est précisément cette aridité apparente qui rend l’émission intéressante, à l’instar d’une conférence à la Sorbonne, ou de la lecture du Wall Street Journal, par exemple. En tout cas, rien à voir avec les niaiseries quotidiennes du « Fou du Roi »... « Rue des Entrepreneurs » se trouve aussi être une des plus anciennes émissions de la grille de France Inter, ce qui pourrait expliquer que tel "petit chef" veuille faire table rase de tout ça...
« Sur France Télévision, le premier partenaire c’est vous ! » peut-on entendre dans un spot publicitaire vantant la qualité des rapports entre la télévision publique et ses chers téléspectateurs.
Le premier partenaire ? Là, je dis « chiche ! », et je demande, que dis-je ?, j’exige d’être consulté avant toute modification de la grille des programmes. Parce que j’entends être autre chose qu’un vulgaire payeur de redevance.
Et dès lors que les émissions sont faites avant tout pour les auditeurs et téléspectateurs, il va falloir qu'à l'avenir, nous, usagers de l'audiovisuel public, exigions d’être systématiquement consultés en matière de programmes.
Par téléphone, par SMS, courriel, etc., il est très facile, de nos jours, de faire voter le public, comme on peut le voir quotidiennement ici ou là. Du reste, tous les jours ouvrables, France Inter diffuse « Le téléphone sonne », émission s’appuyant sur la participation des auditeurs.
Je demande, donc, que France Inter organise un audit auprès du public, sur le devenir éventuel des émissions de la grille, et qu’on en finisse, DÉFINITIVEMENT, avec des pratiques archaïques et héritées des plus infâmes républiques bananières.
Les responsables de Radio France, mais aussi de France Télévision, vont devoir nous consulter à l’avenir sur toute modification des grilles des programmes, parce que les émissions sont faites pour nous et pas pour de "petits chefs". C’est le sens du message que, pour ma part, j’adresse aux responsables politiques de ce pays ainsi qu’au CSA.
P. S. Question à 'x' centaines de kiloeuros : supposons que, in fine, la justice donne gain de cause à Adès et Dambert, contraignant l'employeur à leur verser de substantielles indemnités de licenciement, de quelle poche va sortir cette somme : de notre poche de contribuables ou de celles des petits chefs fautifs ? Cette question n'a rien de théorique, dans la mesure où les petits dictateurs de l'audiovisuel public seront d'autant plus enclins à jouer les Mugabe et autres Pol-Pot de bas étage qu'ils ne risquent rien sur le plan financier, la collectivité étant automatiquement amenée à subvenir au paiement de leurs iniquités. Et c'est là que les élus, notamment ceux du parlement, devraient penser à munir la loi sur l'audiovisuel d'un amendement prévoyant la responsabilité personnelle d'un "petit chef" en cas de condamnation judiciaire, étant entendu que les fautes personnelles d'un dirigeant incompétent ne sauraient en aucune manière être couvertes par le contribuable ! Cela devrait en faire réfléchir plus d'un(e) à l'avenir !