mercredi 10 février 2010

Bons baisers d'Abu Dhabi


Le samedi, 9 janvier 2010, sur la radio française Europe 1, Catherine Nay consacrait un éditorial à la vente avortée de réacteurs nucléaires aux Emirats Arabes Unis par la France, par l'entremise d'un consortium piloté par AREVA, fleuron du nucléaire français, le marché ayant été remporté par la Corée du Sud. Et que dit-on aux Coréens, quand on est Français et fair-play ? C'est simple : Bien joué !

Fort curieusement, Catherine Nay a été l'un(e) des rares éditorialistes à s'épancher sur ce ratage d'Areva, bien que le consortium français ait présenté un système apparemment plus moderne et plus performant que les Coréens.

Bien évidemment, l'affaire a fait grand bruit dans la presse économique. Voici, par exemple, ce qu'on pouvait lire sur le site lesechos.fr :

Le 27 décembre dernier, le choc a été violent pour les champions tricolores du nucléaire : donnés favoris, ils se sont vu souffler par les Coréens la construction de 4 centrales à Abu Dhabi ? Manque de cohésion, problèmes de leadership, mauvaise adaptation aux exigences du client... L'acte I de la recomposition de la filière française a sans doute commencé dans les sables des Emirats. (...) Ce devait être le contrat du siècle. Deux semaines après la victoire du coréen Kepco dans l'appel d'offres nucléaire d'Abu Dhabi, pour un contrat de 20 milliards de dollars, les acteurs français du secteur sont sonnés. Et commencent à tirer les leçons d'un échec retentissant. (...) 14 janvier 2008. Nicolas Sarkozy se rend à Abu Dhabi pour signer un accord de coopération nucléaire avec les Emirats Arabes Unis. Un grand moment, forcément, pour les acteurs du secteur...

Et puis, près de deux ans plus tard, patatras ! Le fiasco, que Catherine Nay explique en grande partie, selon elle, en raison de l'éternelle arrogance française (Europe 1, 09 janvier 2010).

Bien vu ! Mais il faut aller plus loin dans l'analyse, et c'est là que je risque d'en surprendre plus d'un.

Il y avait bien de l'arrogance du côté français, sûr de lui et dominateur, en tout cas sur le plan technique. L'EPR, vous savez ? Cette merveille des merveilles !

Sauf qu'en France même, les détracteurs du nucléaire ne chôment pas, la nouvelle du fiasco aux Emirats ayant même fait quelques heureux :

Une nouvelle qui a fait quelques heureux, notamment auprès du réseau Sortir du nucléaire. Pour ce dernier, chaque vente d'un EPR se solde par un gouffre financier pour la France. En atteste le cas de la Finlande, à qui a été vendu un EPR français pour un montant global de trois milliards d'euros. Or, non seulement le chantier accuse un retard minimum de trois ans, mais il devrait, en réalité, coûter au moins six milliards d'euros, le coût excédentaire étant, bien entendu, à la charge de l'Etat français."

Cette éternelle arrogance française, disait Catherine Nay. Voilà qui est venu me rappeler un autre fiasco, pas si ancien que ça. La scène se passe le 6 juillet 2005, à Singapour. Le gratin de l'olympisme mondial s'est réuni là pour désigner la ville olympique de 2012. Paris est sur les rangs, boosté par un film de Luc Besson et par la présence des Douillet, Pérec (Guy Drut est retenu à Paris pour de sombres histoires juridico-politicardes), Delanoë, Lagardère (Arnaud), et j'en passe.

Cinglant échec pour Paris, qui va se voir même doublé par Madrid. Mais c'est Londres qui remporte la palme. Je me souviens avoir écrit, sur un blog, quelques jours auparavant, que Londres était mon favori, pour des raisons purement sportives : Moscou, Barcelone et quelques villes américaines avaient organisé des jeux tout récemment ; quant à la France, elle avait eu droit à des jeux d'hiver, à une coupe du monde de football ainsi qu'à des chambionnats du monde d'athlétisme, et dans ce laps de temps, il n'y avait rien eu pour les Britanniques. C'est dire si j'étais ravi pour Londres.

Mais, bien entendu, le choix du CIO n'était pas que sportif. Et c'est là que l'on retrouve la fameuse arrogance française.

Petit retour en arrière : en 2003, Jacques Chirac, président de la République, décide de constituer un groupe de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République. Y avait-il urgence à légiférer sur quelques dizaines, voire centaines de cas de jeunes filles ou de jeunes gens, dont la religion n'était pas inscrite sur leur visage, tout simplement parce qu'ils portaient une coiffe qui avait l'heur de déplaire à quelques laïcards ? Toujours est-il que, le 15 mars 2004 était votée par le Parlement français une loi n°2004-228, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges, lycées publics.

Détail croquignolesque : à la suite d'une de ces entourloupes dont les politiciens ont le secret, la loi a été promulguée sans que la Gauche (dépositaire d'un amendement de dernière minute accepté par le gouvernement de Droite) ne saississe le Conseil Constitutionnel.

On se retrouve donc avec une loi restrictive des libertés publiques, et qui n'a jamais subi l'expertise des Sages du Palais Royal !

Le problème est que les policitiens et politicards français n'ont pas beaucoup de jugeote, et que le pays va le payer très chèrement, une année plus tard.

Juillet 2005, réunion à Singapour pour désigner la ville olympique de 2012. Et Paris boit la tasse ! Mais Madrid voit son projet tenir tête à celui des Londoniens. Ce qui va appeler quelques commentaires : il se trouve que José Luis Zapatero est un malin, qui a bien failli voir sa roublardise couronnée de succès. En effet, au moment même où les Français s'aliénaient les sympathies du monde arabo-musulman, avec leur machin législatif visant essentiellement des jeunes filles portant signes comment déjà ? "ostensibles d'appartenance à une religion...", le chef du gouvernement espagnol se lançait - on le lui a copieusement reproché, du côté de la Droite - dans une campagne de régularisation massive des immigrés vivant en Espagne, ce qui a conduit à l'appel d'air que l'on sait. Mais s'il en est résulté des inconvénients indéniables, avec la multiplication des départs de clandestins, d'Afrique du Nord vers l'Espagne, à travers le détroit de Gibraltar, dans un premier temps, puis vers les Canaries, ensuite, cette ouverture espagnole, comme on dirait aux échecs - dont Zapatero doit être un expert ! - a déclenché, dans tout le Tiers-monde, une vague de sympathie envers l'Espagne, concrétisée par le report massif de votes en faveur de Madrid, lors de la réunion du CIO à Singapour.

Et voilà comment Paris a perdu, et que Madrid a bien failli gagner ! Grâce ou à cause d'une loi imbécile, conçue par des idots et votée par des crétins.

2010, rebelote : les Français nous font de nouveau le coup de l'imbécilité, en se lançant dans un débat vasouillard autour de quelques femmes entièrement voilées, soit entre trois cents et trois mille cas, au grand maximum. Et voilà de nouveau nos idots et autres crétins, qui avaient déjà coulé le ticket parisien pour les JO de 2012, donner de la voix, oubliant, de toute évidence, le voyage de Sarkozy aux Emirats Arabes Unis, en janvier 2008, pour y vendre du nucléaire.

Cf. Le Monde du 28 novembre 2009 :

(...) Paris mobilise toutes ses entreprises derrière EDF... Cette démarche explique les voyages éclairs de M. Guéant à Abou Dhabi et l'implication personnelle du chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, dans ce dossier...

Seulement voilà, les politiciens et politicards français ne semblent pas avoir beaucoup de mémoire, à moins qu'il ne s'agisse de sénilité ! Imaginez, une seconde, un émir ou un prince arabe quelconque, débarquant à Paris avec sa suite et voyant ses épouses arborant Niqab contraintes de se découvrir à l'aéroport !

Devant l'arrogance des Français, les Émiratis ont préféré acheter coréen. Car, pour ma part, je suis persuadé que ce sont des considérations purement politiques qui ont justifié ce choix : la volonté d'en finir avec une certaine arrogance française.

Et que ceci serve de leçon à tous ces politicards de Droite et de Gauche qui, décidément, n'ont toujours rien compris, je pense, notamment, à l'ineffable Monsieur Copé, à Monsieur Lefebvre, mais aussi à tous ceux qui, à Gauche, ont cru judicieux de devoir voler au secours d'une UMP qui détient toujours la majorité absolue à l'Assemblée Nationale : les Aurélie Filippeti, les Manuel Valls, André Gérin, maire de Venissieux, sans oublier cette bonne Madame Elisabeth Badinter, omniprésente dans les médias dès qu'il est question de femmes musulmanes, et j'en passe !



Tout ce petit monde peut être fier de lui : la Corée a gagné... Le plus incroyable est que, si ça se trouve, il n'y aura même pas de loi sur la burqa en France... Tout ça pour ça !

Vous savez quoi ? Si j'étais membre du gouvernement ou industriel coréen du nucléaire, j'offrirais un magnum du meilleur champagne à tous les susnommés et à bien d'autres, pour leur intervention décisive dans notre victoire.

CHAMPAGNE !



P. S. J'évoquais, plus haut, le cas de Madame Elisabeth Badinter, "omniprésente dans les médias dès qu'il est question de femmes musulmanes" ; en fait, j'avais presque tout faux : Elisabeth Badinter est omniprésente dans les médias quand elle veut, comme, par exemple, pour le lancement de son dernier opus, une histoire de 'conflit'. Rendez-vous compte : jeudi 11 février 2010, France Inter, 8h20 ; intervieweur : Nicolas Demorand ; invitée de la matinée : Elisabeth Badinter, pour discuter de son nouvel ouvrage, à paraître bientôt. 10h05 : France Inter, émission "Service Public", invitée : Elisabeth Badinter ; France Inter, 19h20 : émission "Le téléphone sonne" ; invitée : Elisabeth Badinter... Comme je ne passe pas mes journées à écouter France Inter, je suppose qu'il y a eu pas mal d'émissions (Le fou du roi, 2000 ans d'histoire, Le journal de 13 heures, Nonobstant, avec Yves Calvi, etc.) auxquelles j'ai échappé, et qui avaient pour invitée principale : Elisabeth Badinter. J'entends encore les chers z'auditeurs, invités à téléphoner pour parler d'un bouquin que personne n'a encore lu, car non encore disponible dans le commerce. France 2, journal de 20 h, présentateur David Pujadas : long reportage sur l'ouvrage à paraître de Madame Elisabeth Badinter... Sacrée performance, n'est-ce pas ? Et, là encore, je dis : CHAMPAGNE !

Cela dit, Madame Badinter peut toujours, à l'instar de son compère Bernard-Henri Lévy, bénéficier de la complaisance des médias à chaque lancement d'un bouquin ; je n'en reste pas moins persuadé qu'un autre bouquin, probablement moins médiatisé, mériterait qu'on s'y intéresse infiniment plus, je veux parler de l'expérience d'immersion dans la peau d'une femme de ménage, contée par Florence Aubenas dans Le Quai de Ouistreham, Editions de l'Olivier (parution le 18 février 2010).