mercredi 9 décembre 2009

"Prototype"



Ce qui suit est un courrier que j'ai adressé au Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples, MRAP, comme suite à la plainte qu'il a introduite contre Brice Hortefeux, ministre français de l'Intérieur, lequel aurait tenu des propos racistes à l'égard d'un jeune militant UMP d'origine nord-africaine.

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Le 8 décembre 2009


Objet : Brice Hortefeux


Destinataire : MRAP, Paris


Monsieur le secrétaire général du MRAP,

Les propos de Brice Hortefeux, en septembre dernier, en marge d'une manifestation de l'UMP, ont abondamment défrayé la chronique, au point de susciter une plainte de votre part contre le ministre de l'Intérieur, accusé de racisme anti-arabe.

Je dois vous avouer que, dans un premier temps, je me suis totalement désintéressé de la question, puis j'ai fini par faire comme beaucoup de gens, en consultant les médias ainsi que les nombreuses vidéos disponibles sur Internet.

Je reproduis, ci-dessous, deux citations, récupérées sur Internet, soit sur un site journalistique (neutre) et un site « communautaire » ouvertement anti-Hortefeux.


I. Source : latribune.fr

Le Mrap porte plainte contre Brice Hortefeux, accusé de racisme PARIS (Reuters) - Le Mrap a décidé de porter plainte contre le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux pour "diffamation à caractère raciste" après ses propos ambigus envers un militant UMP d'origine maghrébine.

Dans un communiqué, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples juge les propos du ministre "profondément humiliants et attentatoires à la dignité et la considération des personnes d'origine arabe".

Brice Hortefeux, soutenu par de très nombreux membres du gouvernement et l'UMP, s'est défendu d'avoir "mentionné une quelconque origine" lorsqu'il s'est adressé à un jeune militant UMP d'origine maghrébine le 5 septembre, sur le campus d'été des Jeunes UMP à Seignosse (Landes).

Mais pour le Mrap, Brice Hortefeux "a non seulement failli à son statut de ministre qui représente les valeurs de la République, mais de surcroît a participé à l'incitation à la discrimination, confortant ainsi les préjugés racistes en y apportant sa contribution". En conséquence, l'organisation demande sa démission de son poste ministériel.

LA LICRA JUGE LA POLÉMIQUE "CLOSE".

En revanche, pour la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), la polémique est close. "Le ministre a clairement réaffirmé à la Licra sa détermination à lutter contre toutes les formes de discrimination et de travailler utilement aux questions d'intégration", explique l'organisation non gouvernementale, présidée par l'ancien député européen UMP Patrick Gaubert. "La Licra ne participera pas à la polémique politico-médiatique (...) et considère cette affaire comme close pour elle", ajoute-t-elle.

Depuis la diffusion sur internet de la vidéo dans laquelle on l'entend tenir les propos mis en cause, l'opposition réclame la démission de Brice Hortefeux.

Plusieurs associations ont en outre demandé des excuses au ministre. Mais le secrétaire général de la présidence, Claude Guéant, a affirmé sur RTL que Brice Hortefeux n'avait pas à s'excuser pour une phrase "sortie de son contexte".

Dans l'enregistrement réalisé par des journalistes des chaînes Public Sénat et LCP, on entend un militant dire à propos du jeune homme, membre de la section Auvergne de l'UMP: "C'est notre petit Arabe." Ce à quoi le ministre semble répondre : "Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes."

Assurant qu'il parlait des Auvergnats, dont il est aussi question dans cette conversation, Brice Hortefeux a tenté de faire taire la polémique. Il a notamment partagé un dîner de rupture du jeûne du ramadan vendredi avec des musulmans à Clermont-Ferrand et devait faire de même lundi soir à Paris, à l'invitation du Conseil français du culte musulman.

Grégory Blachier et Gérard Bon, édité par Yves Clarisse


II. Source : lesogres.info

Le script verbatim :

Ahmid demande à être photographié en compagnie de Jean-François Copé et de Brice Hortefeux.

Hortefeux dit quelque chose qui fait rire le jeune homme (pas audible)
- Copé : - N’oubliez jamais un truc, il est auvergnat..
- Hortefeux : Je suis auvergnat.... (le reste n’est pas audible)
- Copé : - Et auvergnat, c’est un drame.. un drame.
- Hortefeux s’écartant : - Bon, je vais faire un exception
- Ahmid s’approchant timidement pour poser pour la photo : - Je me mets entre les deux.
- Copé : - Pour moi, aucun problème, moi.
- Un homme s’apprêtant à les photographier : - Oh Ahmid... Ahmid Hamilton, c’est d’un drôle !
Les gens les regardant réunis tous les trois : - Ah ça c’est de l’intégration. C’est de l’intégration, Ahmid ! Franchement !
- Hortefeux : - Il est beaucoup plus grand que nous en fait.
Des gens derrière eux les interpellent en riant : - Lui, il parle arabe. (peut-être une réponse humoristique à l’affirmation d’Hortefeux sur le fait que tout est parti de paroles où il dit qu’il est si auvergnat qu’il parle auvergnat !)
Copé se retournant et d’adressant à Ahmid : - Ne vous laissez pas impressionner, c’est des socialistes infiltrés, surtout elle.
Une dame (la "surtout elle" de Copé) touchant le visage et les cheveux d’Ahmid : - Il est kabyle, il est kabyle... Il mange du cochon et il boit de la bière.
Hortefeux en souriant : - Bon, il ne correspond pas au prototype alors. C’est pas du tout ça !
Hortefeux : - Il en faut toujours un, quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup que ça créé des problèmes.

Puis se retournant, il s’en va en disant : - Allez, bon courage !
Ahmid : - Merci !


Chers amis du MRAP,

Nous sommes le 8 décembre, soit pas loin de trois mois après la polémique en question, et après la consultation de dizaines de sites Internet traitant des propos de Brice Hortefeux, je dois vous avouer mon admiration, s'agissant de la sagacité dont vous avez fait preuve, au point de comprendre, en un rien de temps, que Hortefeux était raciste. Parce que, figurez-vous que moi, trois mois après, je m'interroge toujours !

De chacune des deux citations précédentes, j'ai extrait un passage que j'estime particulièrement significatif :

I. Source : latribune.fr

« Dans l'enregistrement réalisé par des journalistes des chaînes Public Sénat et LCP, on entend un militant dire à propos du jeune homme, membre de la section Auvergne de l'UMP : "C'est notre petit Arabe." Ce à quoi le ministre semble répondre : "Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes." »

Fin de citation

II. Source : lesogres.info

« Une dame (la "surtout elle" de Copé) touchant le visage et les cheveux d’Ahmid : Il est kabyle, il est kabyle... Il mange du cochon et il boit de la bière.
Hortefeux en souriant : - Bon, il ne correspond pas au prototype alors. C’est pas du tout ça !
Hortefeux : - Il en faut toujours un, quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup que ça créé des problèmes. »

Fin de citation


Entre nous, avouez que les deux citations ne collent pas complètement !

« Moi, j'ai lu et entendu partout, que Brice Hortefeux aurait dit : "Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes." »

Et c'est précisément cette phrase-là qui a déclenché la polémique. Le problème est qu'avant cette fameuse phrase, dans le style : « un ça va...», Hortefeux a dit autre chose que peu d'observateurs et de commentateurs ont entendu, mais que l'on retrouve dans la seconde citation :

"Hortefeux en souriant : Bon, il ne correspond pas au prototype alors. C’est pas du tout ça !"

Reconnaissons au passage que c'est sur un site ouvertement communautaire, et franchement anti-sarkozyste et anti-Hortefeux, que l'on a la transcription la plus fidèle des propos du ministre !

Il ne correspond pas au prototype, dit le ministre. Mais pourquoi, ai-je tout de suite pensé, parle-t-il de prototype, terme qui aurait plutôt correspondu à un processus de fabrication, comme on en connaît dans l'industrie ? Et s'il avait voulu dire autre chose ?

Et c'est là que je me dis que le ministre a commis un quasi-lapsus, peut-être l'a-t-il même fait volontairement.

En effet, tout part de cette charmante militante UMP, qui semble connaître le jeune Ahmid, qui boit de la bière et mange du cochon..., ce qui, selon le ministre, ne correspondrait pas au prototype, en fait, au STÉRÉOTYPE... !

Savez-vous ce que c'est qu'un stéréotype, chers amis du MRAP ?

C'est un poncif, une image d'Epinal, une « pseudo-vérité » colportée depuis belle lurette au point de sembler vraie. Quelques exemples : les Juifs ont de l'argent (cf. le gang des Barbares), les (footballeurs) Italiens sont des tricheurs (cf. certains supporters français) ; les Allemands sont ultra-disciplinés, les Gitans sont des voleurs de poules, les Chinois sont sournois et obséquieux, les Africains sont tous polygames, les Musulmans tyranisent leurs épouses, les Blancs sont tous racistes, etc.

Bref, un stéréotype, c'est une croyance à laquelle les gens simples adhèrent un peu trop rapidement... Mais Brice Hortefeux, qui est un homme courtois, du moins le pensé-je, n'a pas voulu vexer sa militante UMP, c'est la raison pour laquelle il commet ce quasi-lapsus en édulcorant le stéréotype en prototype.

C'est, en tout cas, la conclusion à laquelle je suis parvenu après bientôt trois mois de cogitations. Et j'ai la prétention de croire que c'est moi qui ai raison. Et c'est là que ça devient intéressant.

Question : Brice Hortefeux émet la thèse du prototype/stéréotype pour y adhérer ou plutôt pour s'en détacher ? L'utilisation du terme (prototype/stéréotype) ne contient-elle pas, en filigrane, un début de désapprobation des propos de la militante UMP ?

Ma conviction est que le ministre prend (gentiment) ses distances avec le poncif formulé par son interlocutrice : « les Arabes sont comme ci, ou comme ça, sauf celui-là... », sous-entendu, lui au moins n'est pas comme les autres. En évitant de parler de stéréotype, Brice Hortefeux n'a-t-il pas voulu ménager la susceptibilité de la militante de l'UMP ?

Voici, en substance, ce que, selon moi, Brice Hortefeux a voulu dire, en substance : « Chère madame, ce jeune homme ne correspond pas au stéréotype, à l'image d'Epinal que vous vous faites des Arabes : lui mange du porc et boit de la bière, ce qui en fait, selon vous, un « bon Arabe » ; car j'imagine que vous devez également penser, à propos des Arabes, que quand il y en a un, ça va ; c'est quand il y en a beaucoup qu'il y aurait des problèmes. »

On comprend mieux la suite, avec les hésitations du ministre à propos de la portée réelle de sa déclaration.

Entre nous, amis du MRAP et d'ailleurs, seriez-vous prêts à jurer, la main sur le cœur, que ce que j'avance est faux ? Et pouvez-vous certifier qu'il n'y a pas l'ombre d'une chance pour que mon analyse soit exacte ?

Franchement, j'ai du mal à comprendre que vous - tout le monde ! - soyez tombés dans le panneau consistant, dans un premier temps, à lire les propos du ministre avec de grosses loupes déformantes et, dans un deuxième temps, à saisir systématiquement les tribunaux à propos de tout et de rien. Je sais que la chose est à la mode, en ces temps de « juridictionnalisation » de la moindre polémique, comme si les magistrats n'avaient pas autre chose à faire !

Je sais bien que le français est une langue subtile, mais toutes les langues le sont : la langue des Inuit n'a-t-elle pas des dizaines de mots pour désigner toutes les nuances de la neige, et l'arabe et le berbère n'ont-ils pas des dizaines de termes pour désigner toutes les nuances du sable ou du désert ou tous les avatars de tel animal (chameau/dromadaire) ? Toutes nuances difficilement perceptibles par l'outsider, l'étranger ?

C'est précisément un critère de bonne intégration dans une culture que la maîtrise parfaite de certaines subtilités de la langue. Et là, je dois avouer qu'en ces temps de parlote autour de l'identité nationale, le tohu-bohu provoqué par les propos (anodins) de Brice Hortefeux nous révèle que la maîtrise du français, au sein du microcosme politico-médiatique, laisse encore énormément à désirer !

Je vous signale, en passant, que j'adresse une copie de la présente à Monsieur Hortefeux, et que je l'autorise à en faire l'usage qu'il voudra, y compris devant un tribunal.

Personnellement, je ne saurais affirmer que Brice Hortefeux n'ait jamais tenu de propos racistes, ne connaissant pas l'homme. Mais ce dont je suis à peu près certain, c'est qu'il n'y a pas l'ombre d'une attaque raciste dans les propos qu'il a tenus en présence du jeune Ahmid, l'épisode en question ne justifiant en rien une procédure judiciaire.

Et pour que les choses soient bien claires, je suis un sympathisant de gauche ; j'ai soutenu la campagne de Ségolène Royal, dont j'estime qu'elle a été, en 2007, la meilleure candidate à la présidentielle et qu'elle reste la personnalité politique qui a le mieux compris l'état de la France, à commencer par les couches populaires, de même qu'elle est, et de loin, la personnalité française qui jouit de la meilleure image en Afrique, notamment depuis un certain (contre-)discours de Dakar ! J'estime, donc, qu'en 2007, les Français ont misé sur le mauvais cheval, et je suis navré de voir des gens comme Hortefeux perdre leur temps et leur énergie au service d'un aussi piètre "général de brigade" !

Mais le fait d'être de gauche et peu suspect de sarkophilie ne me semble nullement incompatible - ce serait même tout le contraire ! - avec un minimum d'honnêteté intellectuelle, qualité qui semble faire cruellement défaut à bien des commentateurs (notamment à gauche !), dont la mauvaise foi ne sert en rien l'antiracisme dont ils prétendent se réclamer.

Je précise, s'il en était besoin, que je suis Africain à 100 %, non naturalisé Français, détenteur d'une carte de résident de 10 ans (2007-2017), que je travaille, et que je n'ai pas la moindre intention d'adhérer à l'UMP ni de réclamer quelque service que ce soit à Monsieur Hortefeux. Du reste, à propos du jeune Ahmid, je lui adresserais volontiers un message de soutien et de sympathie, même si j'estime qu'à son âge, on est généralement contestataire, donc plutôt de gauche (encore un stéréotype !).

Ma conviction, chers amis antiracistes, est que vous allez devoir retirer votre plainte, à moins que vous ne cherchiez à vous couvrir de ridicule ! Mais au ridicule, nul n'est tenu !

Veuillez tout de même agréer l'expression de mes salutations distinguées.

R. W.


P.s. Je suppose que vous avez aussi porté plainte contre les propos, ouvertement racistes, eux, de Manuel Valls, maire d'Evry, à propos du trop faible nombre de "blancos"... ?