dimanche 5 décembre 2010

Memento : 2 mai 2007. Retour sur un débat



Par les temps qui courent, des millions de pages de forums tombent chaque jour sur le réseau mondial, venant enrichir les innombrables débats qui agitent ce que d'aucuns appellent le village mondial. Faut-il pour autant se complaire dans la jactance à tout va, comme dirait Dutronc dans une de ses chansons, juste pour faire du bruit, ou du "buzz", sans vraiment s'interroger sur la finalité de tous ces débats ?

Tenez, par exemple, le fameux débat d'entre les deux tours de la présidentielle française de 2007. On en a dit et écrit des choses à son propos, chacun choisissant son champion ou sa championne, dans le style : "Il a gagné !", "Non, c'est elle qui a gagné !".

Et comme cette propension à parler beaucoup, sur le moment, puis à oublier tout ce qu'on avait dit naguère me dérange un tantinet, je suis allé jeter un coup d'oeil en arrière, histoire de savoir ce qu'il en est resté de ce fameux débat, je veux parler du point de vue des principaux intéressés ayant été à l'origine de la confrontation évoquée ci-après.

Ce qui suit est donc la transcription (dans la continuité) de la partie du débat qui a donné lieu au maximum de commentaires, à savoir l'évocation par le candidat de l'UMP d'un droit opposable offert aux parents d'enfants handicapés, avec la véhémente réponse de la candidate de gauche. La transcription qui suit est empruntée au site la-croix.fr que je me dois de remercier ici.

(...)

Nicolas Sarkozy : J'ai trop de respect pour vous pour vous laisser aller au mépris. Les droits opposables sont très importants, ils permettront de passer de la République des droits virtuels à la République des droits réels.

Ségolène Royal : J'avais la parole. Je préfère l'action politique efficace, qui fait les choses, plutôt que d'imaginer.

Nicolas Sarkozy : Ce sont des mots. Moi, je m'engage sur un résultat.

Ségolène Royal : Les gens vont aller devant les tribunaux alors qu'ils sont déjà débordés et qu'ils ont autre chose à faire? Ce n'est pas sérieux !

Nicolas Sarkozy : Ce n'est pas gentil de dire des choses comme cela. Je vais prendre un exemple qui va peut-être vous toucher. L'affaire des enfants handicapés dans les écoles. Je considère qu'il est scandaleux qu'un enfant ayant un handicap ne puisse pas être scolarisé dans une école "normale." C'est important pour l'enfant ayant un handicap et pour les autres enfants qui n'ont pas de handicap, qui au contact de cet enfant différent apprendront que la différence est une richesse. Dans les démocraties du nord de l'Europe, 100 % des enfants ayant un handicap sont scolarisés en milieu scolaire classique. En France, c'est 40 %. Je veux créer un droit opposable. Cela veut dire quoi ? Qu'une famille au bout de cinq ans, à qui on refuserait une place dans une école, pourrait aller devant le tribunal en disant : la République m'a promis un droit. Un homme politique s'est engagé et n'a pas tenu sa promesse. Que se passe-t-il ? Je veux en finir avec les discours creux (pas le vôtre, je ne veux pas être désagréable) avec ces promesses incantatoires, cette grande braderie au moment de l'élection, on rase gratis, on promet tous. Quand on ne sait pas promettre, on promet une discussion. Je veux m'engager sur des résultats, sur du concret. Je veux dire à toutes les familles ayant rencontré le drame du handicap que je ferai une place à chacun de leurs enfants dans les écoles, que je donnerai les moyens aux écoles pour les accueillir. La preuve de ma bonne foi sera le droit opposable et la capacité d'aller devant un tribunal pour faire-valoir ses droits. Ce n'est ni ridicule, ni accessoire. C'est peut-être même ce qui fait la différence entre la vieille politique et la politique moderne.

Ségolène Royal : Là, on atteint le summum de l'immoralité politique. Je suis scandalisée par ce que je viens d'entendre, parce que jouer avec le handicap comme vous venez de le faire est proprement scandaleux. Pourquoi ? Lorsque j'étais Ministre de l'enseignement scolaire, c'est moi qui ai créé le plan Handiscol qui a demandé à toutes les écoles d'accueillir tous les enfants handicapés. Pour cela, j'avais créé parmi les aides éducateurs que vous avez supprimés, 7000 postes d'aides éducateurs, d'auxiliaires d'intégration. J'avais doté toutes les associations de parents d'enfants handicapés des emplois liés à l'accompagnement et aux auxiliaires d'intégration dans les établissements scolaires. C'est votre gouvernement qui a supprimé non seulement le plan Handiscol, qui a supprimé les aides éducateurs, qui fait qu'aujourd'hui, moins d'un enfant sur deux qui était accueilli il y a cinq ans dans l'école de la République ne le sont plus aujourd'hui. Vous le savez parfaitement. Je trouve que la façon dont vous venez de nous décrire, la larme à l'œil, le droit des enfants handicapés d'intégrer l'école, alors que les associations des parents d'handicapés ont fait des démarches désespérées auprès de votre Gouvernement pour réclamer la restitution des emplois, pour faire en sorte que leurs enfants soient à nouveau accueillis à l'école, y compris les enfants en situation de handicap mental à l'école maternelle, où avec moi tous les enfants handicapés mentaux étaient accueillis à l'école maternelle dès lors que les parents le demandaient. Laissez de côté les tribunaux, les démarches pour les parents qui en ont assez de leurs souffrances, d'avoir vu leur enfant ne pas pouvoir être inscrit lors des rentrées scolaires lorsque vous étiez au Gouvernement. Laissez cela de côté. La façon dont vous venez de faire de l'immoralité politique par rapport à une politique qui a été détruite, à laquelle je tenais particulièrement, parce que je savais à quel point cela soulageait les parents de voir leurs enfants accueillis à l'école. Vous avez cassé cette politique! Et aujourd'hui, vous promettez en disant aux parents qu'ils iront devant les tribunaux?! Tout n'est pas possible dans la vie politique, ce discours, cet écart entre le discours et les actes, surtout lorsqu'il s'agit d'enfant handicapé, ce n'est pas acceptable. Je suis très en colère. Les parents et les familles…

Nicolas Sarkozy : Calmez-vous et ne me montrez pas du doigt avec cet index pointé!

Ségolène Royal : Non, je ne me calmerai pas !

Nicolas Sarkozy : Pour être Président de la République, il faut être calme.

Fin de citation

Sur ce débat, tout ou presque a été dit et écrit à l'époque, et je laisse quiconque sachant se servir d'un moteur de recherche se constituer sa propre base de données en la matière. En tout cas, les spécialistes des sondages ne chômèrent pas, qui nous expliquèrent que le candidat de l'UMP l'avait emporté, enfin bon, tout le monde sait ce qu'est un sondage : l'avis de 800 à 1000 personnes consultées par téléphone !

Mais s'il est un avis particulièrement intéressant sur la question, c'est celui émis par Lionel Jospin, dans un pamphlet anti-Royal particulièrement inepte et outrecuidant (2002 : Jospin : 16 % ; 2007, Royal : 47 %), baptisé L'Impasse.

Je cite :

(...) Ce débat a été révélateur. En surface ou dans les apparences de la théatralisation, Ségolène Royal a semblé faire jeu égal avec Nicolas Sarkozy. D'un côté, son assurance, voire sa hauteur et sa pugnacité, et de l'autre, le profil délibérément prudent et modéré adopté en l'occurrence par son interlocuteur ont nourri cette impression. Mais en profondeur, ses erreurs - sur le mélange des comptes et des caisses publiques (Etat, régions, Sécurité sociale) -, ses affirmations trop générales ou fantaisistes (faire raccompagner chez elles les femmes policiers !), l'incapacité à démontrer la cohérence de son approche économique ont fait que son interlocuteur a creusé l'écart. Même l'indignation, surjouée, à l'égard de l'"immoralité" de son adversaire au sujet des handicapés, un instant impressionnante, se retourna contre elle d'autant que, sur ce sujet, la vérité n'était pas simple. En tout cas, pour la première fois dans un tel débat, le candidat de la gauche était largement dominé...". Lionel Jospin, L'Impasse, Café Voltaire, Flammarion, 2007, pp. 80-81. 

Disons tout net, que Jospin pratique là ce qu'on appelle de la charité bien ordonnée... Parce que, pour ma part, je me souviens de ce débat d'entre les deux tours, en 1995, où l'on a vu un Jospin, au moment de conclure, parlant de lui au passé composé ("j'ai essayé, je me suis efforcé..."), comme quelqu'un qui prenait déjà congé, comme déjà persuadé de la victoire de Jacques Chirac. Mais bon, tout le monde sait que Jospin a, contrairement à Ségolène Royal, été élu à la présidence de la République à chaque fois qu'il s'y est présenté, n'est-ce pas ?

Ce qui est formidable dans l'extrait que je reproduis de la prose de Lionel Jospin, c'est que, tout en étant parfaitement représentatif des commentaires émis à l'époque, tout cela reste purement conjoncturel car uniquement attaché à des questions de pure forme. À aucun moment, ni Jospin, ni l'ensemble des commentateurs ne se sont posé LA question : mais qu'en est-il réellement de la situation des handicapés à l'école, question à laquelle il aurait été facile de répondre, pour peu qu'on la posât aux intéressés (les parents d'élèves), ce que personne n'a pensé à faire, en tout cas pas Lionel Jospin.

Voilà qui m'a incité à aller jeter un coup d'oeil dans mes archives personnelles. Ce qui suit est donc une petite revue de presse sur un sujet pas si escamoté que ça (cf. France Soir, Le Parisien, Le Figaro, 20 Minutes, L'humanité).
























Hé ben dites donc ! Pour ne rien vous cacher, la situation des handicapés est un sujet auquel je m'intéresse depuis fort longtemps, en tout cas depuis le jour (2003) où un étudiant aveugle est venu me solliciter pour que je l'aide à finaliser sa thèse. Et c'est là que j'ai découvert la Perkins, la machine à écrire en braille. Mais j'ai aussi réalisé que les "braillistes" lisaient à l'endroit, mais écrivaient à l'envers. Essayez donc de faire la même chose en écrivant ! 


Ci-dessus : on commence par écrire, au verso, de droite à gauche...
pour pouvoir lire ci-dessous, au recto, de gauche à droite...



Tous ceux qui connaissent un peu la question du handicap à l'école savent que, pour les familles, c'est un véritable parcours du combattant, obligées qu'elles sont de superviser, souvent seules, les montages financiers, car le matériel est fort coûteux.


En tout cas, en suivant le débat de ce 2 mai 2007, j'ai bien senti que l'un des débatteurs connaissait parfaitement la réalité du handicap et que l'autre mentait effrontément, cet autre n'étant pas Ségolène Royal !

Tiens, juste pour rire (source) : 




Pour en revenir à Lionel Jospin et à sa saillie uniquement motivée par la haine et l'aigreur envers quelqu'un qui aura sauvé la Gauche de l'humiliation de 2002, on se souvient à peine qu'il fut aussi ministre de l'Éducation nationale, ce que lui-même semble avoir oublié, étant donnée son ignorance en matière de politique d'intégration scolaire des handicapés. Pauvre Lionel Jospin !